1300 mètres de dénivelé …

Ce chiffre résonne à mes oreilles et me revient comme un leitmotiv. Pour moi, le cent bornard pure souche, le fondu de bitume, avec ma foulée étriquée au ras des pâquerettes, cette course sur les chemins et sentiers de montagne, n’est même pas un défi. Je sais que je ne suis pas sur mon terrain de prédilection, que je vais avoir beaucoup de mal à exprimer mes qualités d’endurance, mais pour autant, j’ai envie de voir comment mon corps réagit sur une épreuve d’un tel type, dans un cadre aussi grandiose et magnifique. Mon abandon au Sparnatrail en novembre dernier m’a laissé entrevoir les limites que je me connaissais déjà lorsqu’il s’agit de courir sur de tels parcours. Mais pour ma défense, à cette occasion, j’étais “à domicile”, dans un cadre certes magnifique mais pour moi habituel. Dans des conditions météos bien champenoises pour un mois d’hiver qui ont eu pour seul effet, moi qui les affronte bien souvent, de me décourager encore plus vite. Ici, c’est bien différent. Pas de boue ni de bruine pénétrante pour me geler les articulations et me faire embrasser la glaise de la vallée de la Marne. Si je dois faire connaissance avec le sol de la région, c’est la poussière que je risque de mordre tant le temps est exceptionnellement sec pour la saison. Quant à mes articulations, nul besoin de les chauffer outre mesure, c’est sans doute la crème solaire qu’il va falloir prévoir dans la panoplie.

Des incertitudes

Mes interrogations sont donc nombreuses. Vais-je profiter du paysage, aurais-je la lucidité de regarder autre chose que trente centimètres devant moi pour savoir où je vais poser mes pieds ? Toutes ces incertitudes m’accompagnent dans les jours qui précèdent le départ. La veille de la course, je retrouve Jack Peyrard, l’organisateur du marathon de la Drôme et au cours d’une balade dans Chamonix où nous nous inquiétons de savoir comment nos épouses vont pouvoir nous rejoindre en prenant le téléphérique, il me montre tout en haut le point où nous allons arriver. Je n’en crois pas mes yeux, c’est une montagne qui se dresse devant moi et qu’il va falloir que je gravisse. J’essaie de me rassurer en me disant que sur 23 kilomètres le dénivelé doit bien être réparti, mais au fond de moi, c’est plus que jamais l’incertitude qui prend le pas sur la sérénité. Mon plan de course, clairement établi, n’en est que plus renforcé. Les dix-neuf premiers kilomètres pratiquement plats et qui nous offrent une balade autour de Chamonix seront courus à allure modéré et j’envisage de faire preuve de la plus grande prudence. Pour le reste je me dis qu’il va falloir gérer ces 23 kilomètres en comptant sur mon endurance et sur le fait que la course dépassant largement les 3 heures, le temps devrait jouer en ma faveur. D’ailleurs, cette épreuve étant une nouveauté pour tous, les pronostics vont bon train pour essayer d’évaluer les performances qui pourront être réalisées le lendemain. Les habitués du cross sont à priori les plus à même de donner un avis éclairé. On saura le lendemain que tous, même les plus avisés, coureurs et responsables de la course, au sein même de l’organisation s’étaient trompés.

Une organisation professionnelle

Cette dernière a pourtant bien fait les choses, pour permettre au cross du Mont Blanc de fêter dignement son 25è anniversaire et aussi pour redonner un second souffle à l’épreuve dont le taux de participation stagnait ces dernières années. Le directeur des sports de Chamonix a décidé de faire appel à une équipe de professionnel pour organiser l’épreuve ou plutôt les épreuves puisque le menu de cette journée se compose d’un 19 km qui se déroule dans la vallée, de l’habituel cross du mont blanc, d’une course en relais qui consiste par équipe enchaîner les deux et enfin le marathon épreuve phare de cette journée. C’est d’ailleurs le concept qui est mis en avant à cette occasion, la légende du lieu s’unit à la légende de la distance mythique. Avec l’ultra trail du mont blanc qui se profile au mois d’août, Chamonix se positionne d’ores et déjà pour devenir la capitale mondiale de la course de montagne.

Pour tous les goûts

Ce menu à la carte permet à chacun d’y retrouver son compte. D’ailleurs sur le 19km, 50% de la participation est féminine, ce qui est remarquable puisque par ailleurs ce pourcentage est de 10 à 20 maximum dans la plupart des courses hors stade. Sans le savoir d’ailleurs, nous avons réagi comme beaucoup d’autres couples puisque mon épouse a décidé de courir cette épreuve qui va lui permettre de participer à la fête, de profiter des lieux sans pour autant se priver de supporter son coureur de mari dont elle sait que les qualités sur les chemins s’accommoderont fort bien de son indéfectible soutien.
Il fait déjà très chaud ce dimanche matin bien avant le départ prévu à 8 heures, il va falloir veiller à bien s’hydrater et mon interrogation à ce sujet est grande. Comment l’organisation va t-elle faire pour gérer les ravitaillements dans un tel contexte géographique. Moi qui n’utilise ni camelback ni ceinture porte bidon, qui ai l’habitude de donner mes ravitaillements à l’organisation en début d’épreuve (même si c’est un marathon, ce n’est pas prévu ici) ou de les recevoir à intervalles réguliers sur les compétitions internationales, je me demande comment je vais gérer ce paramètre nouveau pour moi.

“Pipeules”

L’animation sur le lieu de départ à tôt fait de me faire oublier tout cela, Partick Montel le présentateur vedette de France 2 et Pierre Mournetas habitué des animations de grande course, me font même l’honneur de m’inviter sur le car podium pour me demander mon sentiment sur la course à venir, à la suite de champions plus connus ou réputés pour ce genre d’épreuves : Philippe Rémond qu’on ne présente pas, Isabelle Guillot la multiple championne du monde de course de montagne, Eric Lacroix le récent vainqueur des Gendarmes et des Voleurs spécialiste lui aussi et ancien international… J’annonce ma stratégie, je me fends à l’encontre des autres coureurs de conseils de prudence qui n’ont rien d’original puisque mes prédécesseurs au micro ont tenu tous le même langage.

Un départ pour les routards

A huit heures précises le départ est donné, d’emblée les favoris se postent en tête de la course. A distance du petit groupe de 4 coureurs qui s’est formé à l’avant, je m’applique à bien analyser toutes les sensations qui doivent me permettre de vérifier que je suis bien dans l’allure prévue (15.5 km/ environ). Le temps de passage du premier kilomètre atteint en 3’44″5 me confirme que je suis parfaitement dans le rythme, comme d’habitude, cela me rassure, d’ailleurs il faut absolument que je trouve quelque chose qui me rassure … La première heure de course se déroule avec la plus grande tranquillité, celle-ci me permet converser avec mes compagnons de route. Eric Lacroix à quelques mètres devant nous observe, légèrement en retrait, le groupe de tête. Les derniers kilomètres de la boucle dans la vallée voient revenir sur nous quelques coureurs, peu impressionnants au premier abord, déjà d’un certain âge et ce retour, je dois l’avouer m’inquiète un peu. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de scénario. Est-ce nous qui ralentissons ? Eux qui ont accéléré l’allure pour nous rejoindre ? A moins que les vrais spécialistes de la montagne, avec un sens tactique très aiguisé, aient attendu la fin de ce hors d’œuvre de mise en jambes pour prendre position pour le plat de résistance ?

Le hors d’œuvre a déjà du mal à passer

Je ne vais pas tarder à avoir quelques éléments de réponses dès la première montée située aux environs du vingtième kilomètre. En effet, si pour ma part, je dois me contenter de négocier ce premier obstacle, car c’en est un pour moi, à une allure que j’estime être plus proche de celle de l’escargot que de celle d’un coureur, eux juste devant moi, tels des cabris des montagnes, semblent se jouer du dénivelé et des difficultés avec une remarquable aisance. Lorsqu’au détour d’un virage le mur qui se dresse devant moi m’oblige à marcher à l’image d’un coureur que j’aperçois au-devant et qui pourtant fait partie des spécialistes, je suis encore dans les premiers du classement général. J’ai le sentiment à cet instant, malgré ce qui est une forme d’échec pour moi et auquel je m’étais pourtant efforcé de me préparer malgré toutes mes réticences, que mon endurance va me servir et que si cette épreuve réserve à ses habitués ce que je pensais être le seul à cet instant de la course à avoir à subir, il n’y a pas de raison que la fin du parcours ne me soit pas plus favorable. Ma surprise est grande lorsqu’un peu plus loin nous avons à négocier une partie descendante dans laquelle comme à mon habitude, je suis encore plus mal à l’aise que dans les parties à dénivelé positif. Je cherche mes appuis, j’essaye maladroitement d’éviter les racines et les pierres, je sens bien que je dois ressembler à tout sauf à un coureur digne de ce nom. Ces quelques passages en descente que l’on m’avait annoncés comme anecdotiques (ils le sont sûrement pour le coureur habitué à ce genre d’épreuve) sont pour moi ce sont de nouvelles difficultés que je dois affronter et surtout surmonter. Au loin, les concurrents qui me précèdent ont depuis bien longtemps disparus de mon champ visuel. Les premiers coureurs du cross commencent à nous rattraper, facilement identifiables vue la vitesse à laquelle ils me passent, mais bientôt le flot de coureur qui me double régulièrement ne va plus me permettre d’évaluer ma position dans la course et pour moi qui suis avant tout un compétiteur, même si je sais que dans ce genre d’épreuves, ce n’est pas la philosophie qui prévaut, je perds tous mes repères et par là même une partie de ma motivation, même si je ne me faisais pas trop d’illusion à ce sujet. J’avais d’ailleurs informé Bruno Cavelier en réponse à son invitation, de ma faiblesse rédhibitoire sur ce type parcours mais il me tenait à cœur tout de même de réaliser une belle course. L’idée de ne vraiment pas être à la hauteur de la confiance que l’on avait placé en moi vient s’ajouter à la terrible désillusion qui est en train de naître dans mon esprit, car je prends conscience peu à peu que ce sera sûrement pire que ce que je n’avais imaginé.

Solidarité

Au 25è kilomètre le parcours rejoint une large route bitumée qui monte au village de l’Argentière et je me dis que ce coup de pouce qui me fait retrouver un terrain à ma convenance est peut-être une chance qui s’offre à moi. Hélas, je suis d’une inefficacité déplorable et je perds complètement le semblant d’illusion qu’avait fait naître ce passage censé m’être favorable. Un flot interrompu de coureurs continue de me doubler inexorablement, je suis littéralement scotché sur la route. Beaucoup me reconnaissent et me gratifient d’un signe ou d’un petit mot d’encouragement qui m’invite à poursuivre et à m’accrocher. Je connaissais la solidarité du 100 km pour l’avoir maintes fois manifesté à l’égard des coureurs du cœur du peloton dont le courage et la persévérance m’ont toujours impressionné. Cette fois, c’est moi qui recevais en échange, et ces gestes, ces paroles me sont d’un grand réconfort. Je ne suis pas la vedette qui reçoit une leçon, pas de sarcasmes ou de mot déplacés à mon encontre, en ultra quelle que soit l’épreuve, nous sommes tous dans la même galère et j’ai la preuve sous les yeux que ce magnifique état d’esprit est présent dans le trail. A vrai dire, pourquoi suis-je si sot de presque m’en étonner, cette discipline n’est-elle pas celle qui montre l’exemple d’une course à pied en perpétuelle recherche de ses valeurs et de ses origines ?
Si ces réflexions me donnent du baume au cœur, je n’en ai pas moins une pente à gravir et celle-ci est en train de se transformer en chemin de croix. Il me revient en mémoire, tout à coup, que depuis quelques semaines tant sur le plan des compétitions que sur celui des entraînements, j’ai atteint un niveau vers le bas, que je n’avais jamais atteint auparavant. Mon récent 10’01” réalisé sur 3000m ce mercredi dernier dans un petit meeting régional, m’avais fait ironiser sur le fait que ce chrono était il y a encore peu celui de mon passage à la même marque sur …..le semi-marathon ! Aujourd’hui, je trouve cela moins drôle et je me dis que qu’elle soit l’issue de cette aventure, une sérieuse mise au point avec moi-même s’impose à mon retour.

Le plus dur est à venir

Le coup final va m’être porté par un concurrent qui me double en échangeant avec moi quelques mots sur la beauté du parcours. Je lui réponds par l’affirmative, ajoutant que celle-ci était à l’image, pour moi en tout cas, de la difficulté de l’épreuve. C’est le moment qu’il choisit pour me dire que l’on n’a encore rien vu !!!
Pour couronner le tout c’est à cet instant que la première féminine me rattrape. Je n’ai pas spécialement de problèmes existentiels à ce niveau et pour faire référence à mon niveau qui est le mien en ce moment, j’ai dû m’habituer ces derniers temps à faire face à ce genre de situation, mais un manque d’habitude me fait tout de même ressurgir un probable réflexe macho profondément enfoui qui me fait mal accepter cette situation. La petite marocaine est toute entière dans sa course et je l’envie presque (même si elle aussi alterne à ma grande surprise course et marche) de pouvoir se livrer à fond. Cette idée m’a complètement abandonné à la vision de la nature du terrain qui s’offre à mes yeux, plus piégeux, plus rocailleux, plus étroit que jamais. Après avoir évité de très peu plusieurs fois la chute, je finis par me convaincre, presque avec soulagement que la seule issue pour moi de m’en sortir au moins indemne sur le plan physique et de préserver mon intégrité (tant pis pour le plan mental, rangeons au placard toute fierté qui n’a pas sa place dans ce contexte) et de laisser les autres s’exprimer sur ce terrain qui est le leur et de finir en marchant pour profiter au moins de ce spectacle exceptionnel qu’il nous est donné d’admirer et que mon regard rivé au sol trente centimètres devant moi m’empêche d’admirer. Je serais au moins en accord avec moi même, puisque j’ai souvent annoncé que pour ce qui me concerne, ce type de terrain ne m’est accessible que par cette forme de locomotion : La rando et le sac à dos.
Cette course à pied n’est pas la mienne.

La marche : seule solution

Je m’efforce donc de ne pas gêner les coureurs qui me doublent et n’ont pas mes états d’âme. Je passe mon temps à regarder derrière pour me mettre sur le côté afin de ne pas empêcher la progression des autres concurrents, j’en profite pour en prendre plein les yeux et effectivement on avait rien vu … Même en marchant ce n’est pas si facile que cela, même à ce rythme, j’ai l’impression de négocier à peine mieux les difficultés. Il faut dire d’ailleurs, que tout en est pour moi, pierres, racines, trous, dévers … Chaque pas est presque un franchissement d’obstacle en soi.
Je suis béat d’admiration devant les coureurs qui se déplacent comme s’il n’y avait rien sous leurs pieds !
Je vois arriver les ravitaillements avec ravissement, en plus de la monotonie que cela rompt, l’accueil des bénévoles est remarquable. C’est vrai aussi que d’habitude, je ne prends pas vraiment le temps d’apprécier. Je suis impressionné par l’application qu’ils mettent à satisfaire chaque coureur. Mais ce qui me surprend le plus c’est de voir à de telles altitudes, sur des chemins impraticables autrement qu’à pied, des stands aussi bien pourvus et organisés que sur une épreuve dans la plaine. J’apprendrais plus tard que c’est par héliportage que tout cela a été mis en place. Mais aussi que ce qui m’a bluffé a pu en choquer certains peu habitués à voir dans la nature un tel déploiement de moyens pourtant mis au service du confort des coureurs. En plus de ne pas avoir les jambes, n’aurais-je pas non plus la philosophie ?

Un final impressionnant

La fin de parcours est terrible. Une question me hante : comment est-il possible de courir dans de tels passages où le dénivelé qui me paraît énorme se conjugue avec la difficulté d’un chemin où pas 50 cm de suite n’offrent de pièges à mes pieds déroutés. Même si ma progression me paraît interminable, à tel point que j’envisage parfois de courir pour combler mon impatience d’en finir, les premiers signes d’une arrivée qui se rapproche commencent à se manifester. On entend désormais au loin les voix des animateurs qui accueillent les arrivants. La végétation faite de conifères et de feuillus qui nous avaient par bonheur maintenu à l’ombre pendant toute la course laisse place aux pierriers et aux arbustes bien typiques de ces altitudes. La pente est parfois vertigineuse et presque verticale, puis le chemin se découpe très nettement à l’horizontale à flanc de montagne et c’est alors un long serpentin de marcheurs- coureurs qui se détache au loin, pratiquement sur un kilomètre. J’en ai presque des frissons car devant moi légèrement sur ma gauche le chaîne du Mont Blanc s’offre à mes yeux tandis que tout en bas on peut apercevoir Chamonix au fond de la vallée. C’est un spectacle féerique, que j’ai presque des scrupules à oser contempler quand je vois la souffrance de ces coureurs qui s’arrachent aux pentes de la montagne. C’est d’ailleurs le même sentiment qui m’anime lorsque les spectateurs de plus en plus nombreux à l’approche de l’arrivée nous accueillent avec des encouragements qui en disent longs sur le respect que leur inspire l’effort qu’ils voient s’accomplir sous leurs yeux. J’ai le sentiment très inconfortable de ne pas mériter toutes ces gratifications, je marche depuis près de 10km, je ne fais plus partie de la course, je n’ai pas ôté mon dossard par respect pour l’organisation mais dans ma tête, je n’y suis plus depuis longtemps. Je remercie tant que je peux pour ne pas leur laisser le sentiment d’applaudir sans retour. Facile pour moi, en marchant la discussion est plus facile… J’ai presque honte que j’ajoute un peu bêtement que je ne sais pas si je le mérite. Comme si les gens pouvaient deviner ma situation ! Ils ne voient devant eux que des héros des temps modernes qui vont jusqu’au bout d’eux même pour accomplir le défi qu’ils se sont fixés et ils ont tellement raison. Le dernier kilomètre est digne d’une arrivée du tour de France et porté par une telle foule, il est impossible de continuer en marchant, d’autant que la couleur de mon dossard bleu clair indique que je suis un marathonien. C’est d’ailleurs par ces mots que chaque salve d’applaudissement est ponctué : un marathonien, un marathonien !! Moi qui me fait doubler par des dizaines de coureurs depuis près de deux heures, je n’y comprends rien. Comme un automate, porté par ces cris et cette ambiance, je retrouve tout à coup ce geste si simple qui fait mon bonheur habituellement chaque jour : je cours. Oh, pas bien longtemps puisqu’à peine 500 m me séparent de l’arche d’arrivée.

Premier bilan

Patrick Montel et Pierre Mournetas, le fameux duo d’animateurs de cette course, placés sitôt le ligne pour accueillir chaque coureur (une vraie performance là aussi) me demandent alors quelques commentaires sur ma course. J’ai tellement honte que je trouve une pirouette pour m’en tirer à bon compte, prétextant que j’avais finalement fait le marathon en relais avec un certain Bruno Heubi , trop nul et qui m’avait fait prendre un tel retard que je n’avais pu faire mieux, leur affirmant qu’on ne m’y reprendrait plus avec un tel équipier. Retrouvant enfin mon sérieux et sans être bien certain d’avoir sauvé la face, je terminais en leur faisant part de mon admiration devant un tel spectacle et rendant un hommage sincère à chaque coureur parvenu jusque-là.
C’est à ce moment que je croise juste derrière la foule massée près de l’arrivée, le regard de mon épouse Patricia, qui en dit long sur l’inquiétude qui a été la sienne. Je ne sais pas quel temps je réalise et cela m’importe peu d’ailleurs, mais le retard sur mes prévisions du départ l’a terriblement affecté au point de se demander ce qu’il avait bien pu m’arriver. J’ai pensé à cela pendant les derniers kilomètres et j’étais terriblement peiné en m’imaginant l’angoisse qui devait être la sienne. Quelques journalistes de la presse écrite sont à ses côtés à m’attendre et passés les quelques mots de réconfort je dois expliquer les raisons de mon échec. J’essaie de la faire avec objectivité. L’opinion que j’ai sur moi même à cetmoi-même n’étant pas très haute, la critique n’est pas très difficile à faire et l’auto-analyse sans concession. Chacun trouve d’ailleurs que j’ai même des mots un peu durs. J’arrive tout de même à trouver une formule qui résume plutôt bien selon moi cette expérience si particulière : ” Moi, la montagne je l’aime, mais c’est elle qui ne m’aime pas ! ”

La montagne est belle

Un dernier coup d’œil pour apprécier l’extraordinaire spectacle que la montagne offre à nos yeux et il me tarde de retrouver l’intimité et le réconfort d’être avec les miens. Une question (encore !) me taraudait l’esprit avant le départ. Quelle logistique pouvait bien être capable de gérer ces milliers de coureurs à un tel endroit. Déjà dans une course “normale” c’est un vrai casse-tête, mais là ? En fait, tout à “simplement” été déplacé 2000 mètres plus haut : récupération des sacs d’affaire sans la moindre attente, distribution des ravitaillements en quantité suffisante, le restaurant d’altitude pour accueillir ceux qui souhaitent se reposer à l’intérieur, la terrasse pour ceux qui n’ont pas assez pris le soleil. J’ai l’impression de retrouver cette ambiance si particulière de la pause midi dans une station de ski (oui, je sais c’en est une !), je ne suis plus sur une compétition de course à pied, je suis au sport d’hiver !
Patricia qui a eu le temps de repérer le chemin qui nous mène à la bière du Mont Blanc (aromatisée au Génépi !) m’apprend alors qu’elle a terminé 6è féminine sur les 19 km, troisième V1. Elle l’a fait en sortie longue, pas vraiment à fond, c’est elle qu’il faut inviter l’année prochaine !
En ce qui me concerne, j’ai la conviction, s’il en était besoin, que ce terrain de jeu n’est pas le mien. Peu importe, ils sont déjà assez comme ça et n’ont pas besoin de moi pour s’amuser. Moi qui n’aime pas forcément aller dans le sens du courant, je vais donc être, avec une plus grande motivation encore, l’ardent défenseur des ultras du bitume et de ses adeptes, même si d’aucuns prétendent que cette race en voie d’extinction a peu d’avenir. C’est là que j’y trouve mon plaisir et si ceux qui ont gravi ces pentes sous mes yeux, au Mont Blanc Marathon, n’ont plus à me convaincre, je revendique à mon tour le droit à ma propre folie. Celle de bouffer du goudron !

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