Dans cet article :

  • Mon analyse de la déroute de l’équipe de France d’athlétisme, aux championnats du monde de Budapest 2023.
  • Une illustration (vécue) de “l’être ensemble” et de la notion d’équipe.
  • Des propositions pour faire avancer le débat qui s’est ouvert pendant et après cette compétition, à un an des jeux olympiques en France.

Après la déroute des championnats du monde d’athlétisme, à Budapest, j’ai l’envie, le devoir même pourrais-je dire, si j’ai cette prétention (ou cette honnêteté, peut-être ?) de mettre mon grain de sel dans le débat qui secoue le microcosme de ce sport (bien que la convocation des dirigeants au ministère dépasse maintenant ce simple cadre).
Bref, venons-en au fait. J’ai le privilège d’avoir été 2 fois champion du monde d’athlétisme dans ma discipline (J’entends déjà les : “Rhooo l’autre, pour qui y s’prend ?” Ou bien : “100km c’est pas d l’athlétisme !”).
J’ai fait partie de la sélection nationale qui regroupait des niveaux de performance de coureurs jamais atteints auparavant et toujours pas depuis d’ailleurs. (Classement sur les 6 meilleurs français).
Coup de bol ? Effet de mode de la spécialité ? Détection structurée de la fédération ? Accompagnement parfait des sportifs ?Rien de tout cela et un peu de tout cela.
Une équipe est d’abord et avant tout le fruit d’une agrégation (ce terme me plait, j’ignore pourquoi 😁). Plus sérieusement, rendons à Jean-Jacques ce qui appartient à Rousseau dans cette définition de “l’être ensemble”.

Donc, une sélection (nationale en l’occurrence) est un groupe constitué par des forces extérieures (la fédération, par le biais du sélectionneur), de manière artificielle. Ou en tout cas, contrainte. En effet, je n’ai pas choisi mes partenaires.
Ce qui va faire véritablement l’équipe, c’est le désir commun qui va cimenter le groupe.
Une équipe ce n’est pas une somme de talents.
Une équipe c’est plus qu’une somme de talents.
Une équipe ce n’est pas une addition.
Une équipe c’est une mission !
Une équipe ce sont des individus au service du collectif.
Une équipe ce sont des sportifs qui partagent la même vision, le même objectif, le même rêve.
Et ce qui a été rêvé (très) fort, se réalise (très) souvent.

Nous avions cela. Une somme de talents qui a réussi à construire des liens au service du projet collectif : être les meilleurs au monde dans notre discipline.
Vous avez déjà regardé un vol d’oies sauvages ? 
Il y avait Pascal Fétizon. Celui qui mène la troupe. La première oie de l’escadrille. Champion du monde de la discipline. Mais avec une humilité, une envie d’apprendre, de progresser qui en faisait un leader naturel et charismatique, sans chercher à l’être. Et c’est ce qui le rendait aussi admirable. On était, en effet, tous en admiration devant ce champion simple et humble.

En deuxième ligne, dans le sillage du chef, deux athlètes de niveau mondial : Thierry Guichard (vice-champion du monde en 1999) et Jean-Marie Géhin (3ème mondial en 2001). Ils savaient où était leur place dans ce groupe. La concurrence était saine, donc fructueuse. Chacun tirait les autres vers le haut, sachant que les progrès de l’un étaient aussi ceux de l’autre, au service du collectif. Si l’autre est performant, l’équipe est performante. Aucune rivalité malsaine. On a tous à y gagner !

Et derrière eux, des soldats fidèles, généreux, solides sur qui on pouvait compter pour tenir la baraque. Ça veut dire quoi pour une équipe de 100km, constituée de 6 coureurs dont les 3 meilleurs font le résultat final ? Des gars qui vont au bout coûte que coûte. Pas aussi flamboyants que les autres mais capables de finir et de classer l’équipe. J’étais de ceux-là. 
Grâce à eux, j’ai pu monter sur la plus haute marche d’un podium mondial et chanter la marseillaise habillé en bleu-blanc-rouge. Indescriptible par de simples mots !
Pourtant lorsque je courais en 6h51 ou 6h52 et que je n’avais pas l’assurance d’être sélectionné tellement le niveau était élevé, j’avais parfois des envies de naturalisation portugaise, moi le fils d’immigré par ma mère.
Mais l’équipe du Portugal n’a jamais été championne du monde…

Pourquoi certains sports français réussissent-ils à être les meilleurs du monde dans leur spécialité ? Le football, le handball, le cyclisme, l’escrime, le judo … Et d’autres pour ne pas les citer tous.
Stéphane Diagana, dont j’ai largement partagé l’intervention sur une chaîne publique, pointe du doigt l’absence de culture sportive dans notre pays. Il a raison.
L’agrégé éducation physique et sportive, que j’ai été pendant 42 ans, a souffert chaque jour de cette dévalorisation de ma discipline d’enseignement, pourtant essentielle au développement harmonieux de nos enfants. Il y a là un enjeu considérable de santé publique. Mais c’est un autre sujet.
Le cyclisme, l’escrime, le judo, le kayak … Et d’autres pour ne pas les citer tous, ne sont pas ou peu enseignés dans nos établissements scolaires. Et pourtant ils “produisent” des championnes et des champions.

Pourquoi ? Parce qu’il y a une politique fédérale (du verbe fédérer, du mot fédération). Une fédération doit fédérer. C’est sa mission.
On en revient à “l’être ensemble” de Jean-Jacques Rousseau. La boucle est bouclée. Mais il ne faudrait pas pour autant tourner en rond.

I had a dream (Ben ouais, c’est bien beau de soliloquer mais faut aussi proposer mon Bibi ! 😉)
Je rêve d’une fédération où l’on va chercher les compétences là où elles sont. Nos clubs d’athlétisme en sont bourrés. Nos clubs d’athlétisme en sont largement pourvus (C’est mieux).
Et où l’on va nommer à ces postes clés, des personnes compétentes et motivées par un projet clairement identifié et explicité. Où l’on va unir ces volontés autour d’un désir intérieur qui tient le groupe.
Par exemple, j’ai eu en tant qu’athlète de l’équipe de France, un DTN qui incarnait cette capacité à fédérer. Il venait de la lutte. Les ayatollahs de l’athlétisme hurlaient au scandale pour dénoncer cet homme qui ne venait pas du sérail. Il a obtenu des résultats exceptionnels. A son arrivée, il ne connaissait rien à l’athlé mais il maîtrisait tellement le projet collectif (lui qui pourtant venait aussi d’un sport individuel) qu’il est parvenu à créer une dynamique incroyable.
Même nous coureurs d’ultra distance, ignorés le plus souvent des cadres dirigeants de la FFA, nous sentions considérés par cet homme qui cherchait toujours à apprendre et à comprendre. Il possédait une qualité indispensable pour diriger et fédérer : ils aimaient les athlètes et cherchaient à les mettre dans les meilleures conditions pour qu’ils soient en mesure d’être performants le jour J. Il s’est entouré d’une équipe pour cela. Il a su choisir celles et ceux qui lui semblaient aptes pour cette mission.

Ce que je retiens de ces expériences, c’est que si l’on met les bonnes personnes aux bons endroits, ça marche.
Fabien Galthié en rugby est, selon moi, un modèle dans le genre.
En athlétisme, j’ai davantage en mémoire des choix basés sur une autre volonté que la recherche de compétences pour nommer les personnes à des postes de responsabilité.
Je ne parle que de ce que je connais et je ne me permettrai pas de systématiser.
Je ne connais pas les compétences du directeur de la performance à la FFA. Je ne me permets donc pas de le juger. Qui suis-je d’ailleurs pour cela ?
Je l’ai vu en action lorsqu’il était athlète de l’équipe de France (décathlonien). Il me semble qu’il se transcendait lorsqu’il portait le maillot bleu blanc rouge. Comme on le fait tous quand on a l’honneur et la fierté de le porter pour représenter notre pays. L’entendre dire que certains athlètes de l’équipe de France ne se sont pas transcendés m’a beaucoup étonné. Il a été sportif de haut niveau. Il sait donc à quel point le chemin est long avant d’arriver le jour de la compétition. Que l’engagement au moment de toucher le but est total et sans retenue. Qu’il est l’aboutissement de jours, de semaines, de mois, d’années parfois d’investissement et de concessions au quotidien.

Vous ne m’entendrez jamais prononcer le mot sacrifice. Ce terme est négatif et excessif. Il renvoie selon moi, à des moments où l’être humain engage beaucoup plus que du temps, de l’énergie, de la volonté pour s’entraîner. Il est inapproprié pour qualifier l’entraînement d’un sportif. Je préfère parler de choix de vie, assumés. Donc ces championnes et champions donnent tout au moment de la compétition. Je suis toujours étonné de voir à quel point les dirigeants, à quelques niveaux que ce soit et quel que soit le domaine dans lequel ils exercent, ont la mémoire courte. Faire porter le poids des responsabilités aux sportifs montre soit qu’il a perdu la mémoire ou qu’il fait preuve d’une mauvaise foi qui lui permet de déplacer les responsabilités.
Lorsque j’étais enseignant plutôt que de stigmatiser l’élève, je me posais toujours la question de savoir si j’avais tout fait, de mon côté, pour qu’il s’implique totalement dans les tâches que je lui proposais de réaliser pour apprendre. Je m’efforce d’appliquer ce principe à chaque fois que je suis en demande vis à vis d’autrui.
“Avons-nous tout fait, de notre côté, pour que les athlètes que nous avons sélectionnés en équipe de France se transcendent ?”
J’estime que chacun et chacune à la FFA doit se poser cette question avant d’incriminer les sportifs.

Qu’une athlète soit obligée de vendre des objets personnels sur des sites pour financer ces déplacements dans des compétitions que les instances internationales l’obligent à faire, ça me semble ubuesque. Et là encore il ne s’agit que d’un exemple (certainement extrême) pour illustrer mes propos.

Si on mettait le sportif au centre des préoccupations, des discussions, des intentions ?
Si on (attention je vais dire un gros mot, mettez les enfants à l’abri) professionnalisait davantage notre sport ?
J’ai connu (en tant que spectateur) le rugby amateur. Le rugby des villages. J’ai entendu les oiseaux de mauvais augure annoncer que ce sport allait perdre son âme en franchissant ce cap. Je constate aujourd’hui qu’il ne s’est jamais aussi bien porté.
Pourquoi pas l’athlé ?
Voilà mes pistes de réflexion. Ma contribution aux discussions. J’ignore si cela va servir à quelque chose. Je devais bien à mon sport que j’aime tant et que j’ai mal de voir ainsi, de passer ce temps à écrire ces lignes qui se veulent constructives.

Bruno Heubi

Pour en savoir plus à propos de l’auteur :

https://www.brunoheubi.com/portrait-bruno-heubi/